Faith Ringgold

Balade dans l’activisme coloré de Faith Ringgold

Dans la série de toiles narratives “The French Collection”, Faith Ringgold peint l’histoire de Willia Marie Simone, une jeune afro-américaine ayant émigré à Paris dans les années 1920 pour poursuivre ses rêves artistiques. “Je voulais montrer qu’il y avait des Noirs à l’époque de Picasso, de Monet et de Matisse, montrer que l’art africain et les Noirs avaient leur place dans cette histoire”, écrivait Faith Ringgold. La fiction qu’est la vie de Willia n’est en rien anachronique. Il s’agit plutôt du fantasme d’une vie et d’expériences que les femmes noires n’ont pas pu vivre. 


On voit l’alter-égo de l’artiste poser pour Matisse ou Picasso, devant “La Danse” ou “Les Demoiselles d’Avignons” ou tenir un café où gravitent Monet, Gauguin, Gertrude et Leo Stein, James Baldwin ou encore Joséphine Baker. Ces toiles imposantes et colorées sont peintes à même des quilt. Depuis des siècles, les femmes des foyers afro-américains confectionnent ces dessus de lit en patchwork s’inspirant de motifs africains avec des chutes de tissus. Les femmes s’asseyaient et se racontaient des histoires. Ringgold s’inscrit dans cette tradition de la narration féminine et glorifie ces voix. Les premiers quilts de l’artiste sont d’ailleurs confectionnés par sa mère couturière - comme celle de Willia Marie Simone - avant son décès. 

“Black is beautiful”, d’après le slogan des années 60, est la première rétrospective consacrée en France à l’artiste, qui a visité Paris en 1961. Elle est née en 1930 à Harlem au nord de Manhattan, en pleine Grande Dépression mais surtout en pleine Harlem Renaissance (1920-1935), une période d’effervescence de l’art afro-américain dans tous les domaines artistiques malgré la violente ségrégation. Toute sa vie, Ringgold s’est impliquée dans les luttes politiques afro-américaines et féministes, jusqu’à être arrêtée pour avoir “profané” le drapeau américain lors d’un rassemblement contre l’autoritarisme de Nixon dans le contexte de la guerre du Vietnam et des luttes raciales.

Elle participe directement à la lutte pour les droits civiques en dessinant des affiches du mouvement ou en créant “United States of Attica” après la répression dans le sang des prisonniers d’Attica - une carte aux couleurs du drapeau panafricain répertoriant les événements violents de l’histoire des Etats-Unis. Mais elle renouvelle surtout les formes d’expression de l’art afro-américain et s’attèle à redonner une place aux noirs, aux femmes noires et à la lutte pour les droits civiques dans l’histoire de l’art. En faisant référence à des œuvres majeures, elle en détourne les codes pour parler de la réalité des Noirs américains. 

Faith Ringgold est familière du “Guernica” de Picasso - exposé à New York de la Seconde Guerre Mondiale jusqu’à la fin de la dictature franquiste. Dans “Die”, elle s’en inspire pour produire une toile toute aussi colossale, sur fond gris et d’une violence glaçante. On y voit des noirs et des blancs s’entretuer avec des armes à feu ou à mains nues. Et au milieu de cette scène cataclysmique et des flaques de sang, au centre de l’image, un enfant noir et un enfant blanc s’enlacent, les yeux écarquillés d’incompréhension et d’effroi. L’artiste écrivait : “I didn’t want people to be able to look, and look away. I want to grab their eyes and hold them, because this is America.” ( Je ne voulais pas que les gens puissent regarder et détourner le regard. Je veux attraper leurs yeux et les retenir, parce que c'est ça l'Amérique.)

On retrouve cette même crudité dans le clip “This is America” de Childish Gambino. La vie et les toiles de Ringgold sont un chaînon entre la Harlem Renaissance et l’art protestataire noir américain d’aujourd’hui. Au sommet des tensions interraciales après le Civil Rights Act censé finir avec toute forme de ségrégation, elle peint la série “Black light” : des portraits aux réminiscences cubistes de noir-américains dans des camaïeus de marron et noir. Les cernes, qu’on imagine dues à l’épuisement de leur condition, sont dessinés en aplats bleutés sous des yeux tendres aux cils étirés. L'œuvre de Ringgold est un panthéon aux afro-américains ayant marqué l’histoire comme Martin Luther King Jr. ou les militantes abolitionnistes et pour les droits des femmes Sojourner Truth ou Harriet Tubman, mais elle est aussi la chanteresse de la beauté de ses pairs. 

Faith Ringgold “Black is beautiful”, Musée Picasso Paris, du 31 janvier au 02 juillet 2023.