Abdelkader Benchamma

Vous avez peu de chances de tomber par hasard sur le travail d’Abdelkader Benchamma présenté par la Galerie Templon dans sa localité de la rue Beaubourg. C’est pourtant ce qui nous est arrivé, alors que nous cherchions à nous rendre dans celle de la rue du Grenier-Saint-Lazare. Mais l’espace façonné par l’artiste, comme une antre, blottie au fond de la cour d’un immeuble, nous a happés. 

L’immersion se fait en deux temps. Le premier, à peine entré, lorsqu’on découvre un espace total, où les dessins tracés par l’artiste débordent des cadres de la peinture et envahissent les murs. Le second, lorsqu’on découvre les ocres, la palette d’ocres, violets ou verts cachés dans le monochrome trompeur, ainsi que l’infinité de détails que l’on peut choisir d’explorer longuement dans un plaisir kaléidoscopique. 

Après une première exposition dans cette galerie en 2018, le plasticien de 47 ans a pensé cette deuxième pendant une résidence à Palerme au Palazzo Butera avec l’Institut Français - une opportunité pour l’artiste travaillant entre Montpellier et Paris d’explorer la Cosma. Cette tradition, qui donne son nom à l’exposition, vient du Moyen-Âge en Italie. Les conventions cosmatesques désignent la façon de travailler le marbre dans des marqueteries au sol des palais ou de façon symétrique dans les églises. Cette technique consistait à ouvrir le marbre en deux et le positionner face à face - créant des images à mi-chemin entre l’abstraction et la figuration. 

Une pratique sans doute teintée de spiritualité pour donner forme à l’irreprésentable et au divin - de la même façon que Michel-Ange un siècle plus tard disait dévoiler ce qui était déjà contenu dans la pierre en sculptant le marbre de Carrare.

Ce sont ces marbres-miroirs qui fascinent particulièrement Abdelkader Benchamma. De son escapade sicilienne, il a ramené la couleur -une couleur organique, géologique contenue dans la pierre, et nouvelle dans son œuvre - et la symétrie. Bien qu’elle soit elle aussi, souvent trompeuse. Espiègle, Benchamma nous offre des semblants de repères pour mieux nous secouer et nous questionner sur le sens de la représentation. Cette symétrie bancale rappelle le test de Rorschach - cet outil d’évaluation psychologique renvoyant à la libre-interprétation de chacun. 

Benchamma trace des semblants de mots, de calligraphies mais ils ne renvoient à rien. Il s’amuse à glisser un squelette, une feuille, un CD, entre les traits vibrants. On croirait voir un scan du cerveau de l’artiste, projeté sur les murs ; un flux de pensée, une transmission brouillée qui prend parfois forme. Il est invisible et pourtant, il est dans chaque trait tracé à même le mur avec un style noir, du fusin, ou des brosses épaisses - comme sur une feuille des carnets qu’il balade partout avec lui. En débordant des cadres, il transforme l’environnement. 

En 2018, il avait investi le collège des Bernardins à Paris et recouvert le sol de motifs profus, vaporeux et ondulants. À mi-chemin entre le terrestre et le divin, entre la pierre et le cosmos, Abdelkader Benchamma est autant artisan de l’espace que peintre métaphysique. 

Jusqu’au 18 mars à la Galerie Templon, 30 rue Beaubourg.