Patti Smith & Soundwalk Collective

Patti Smith vit avec ses morts depuis longtemps. Avec son époux adoré, le guitariste Fred “Sonic” Smith, décédé en 1994. Mais peut-être depuis bien avant, avec les écrivains et surtout les poètes de sa vie. Lors de son passage dans l’émission 21 centimètres d’Augustin Trapenard, elle caressait d’ailleurs les dernières demeures des écrivains Beauvoir ou Baudelaire, les photographes Susan Sontag ou Man Ray, au cimetière Montparnasse en le remerciant. Dans l’expérience présentée au Centre Pompidou, elle rend hommage à trois poètes français qui l’ont accompagnée : Arthur Rimbaud, Antonin Artaud et René Daumal. 

Elle partage son amour pour eux avec l’artiste sonore Stephan Crasneanscki, né à Odessa en Ukraine et basé à New York où il a fondé le collectif de musique expérimentale Soundwalk Collective. Ensemble, ils nous offrent “Evidence” (preuve en français), une expérience totale et immersive. Patti Smith fait d’ailleurs partie de ces artistes multi-facettes, dignes de la Renaissance : musicienne aux mélodies inoubliables comme “Because the night” ou “People have the power”, écrivaine de livres primés comme “M Train” ou “Year of the Monkey”, poétesse, photographe, plasticienne… Stephan Crasneanscki est lui-même compositeur, photographe et réalisateur. 

Après avoir parcouru les mots de Rimbaud, Artaud et Daumal encore et encore, ils ont décidé se rapprocher encore plus près de leur conscience en partant physiquement sur leurs traces. Ils ont refait les voyages des poètes pour voir ce qu’ils ont vu, entendre ce qu’ils ont entendu, sentir ce qu’ils ont senti : dans la Sierra Tarahumara au nord du Mexique pour Antonin Artaud, dans les montagnes de l'Abyssinie en Ethiopie  pour Arthur Rimbaud et au sommet de l’Himalaya en Inde René Daumal. 

De ces voyages, ils ont ramené des fragments : vidéos, photographies, pierres, croquis, toutes sortes d’objets et même des plantes. Et puis surtout, des sons, des enregistrements de nature, de rituels, de chants... Entre 2019 et 2021, ils ont créé Perfect Vision - un triptyque d'albums inspirés des voyages des poètes. 

Désormais, ils transforment ces reliques en expérience immersive spécialement conçue pour Beaubourg. Celle-ci se vit avec un casque qui capte différents sons selon nos déplacements. Les 200m2 de l’exposition -peuplés d’objets manufacturés, organiques, des photographies des poètes, des ébauches réalisées par Smith et Crasneanscki- semblent bien plus grands. On pourrait y rester des heures, assis sur les banquettes, en se laissant porter. Car on ne revivra jamais deux fois la même expérience. Chaque pas nous guide vers un nouveau son. 

Le vent, la pluie, les roches raclées, kes tambours sont ensorcelants. Ils se mêlent aux lectures de poèmes susurrés par la voix chaude de Patti Smith ou d’autres acteurs comme le mexicain Gabriel Garcia Bernal, la britannique Charlotte Rampling ou le français Melvil Poupaud. Les mots de Rimbaud “Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers …” font écho à l’azur des vitraux projetés sur les murs. Comme le poète vagabond, on est parfois émerveillé par la découverte d’un son - happés, on n’ose plus bouger de peur de le perdre. 

On ne sait pas si les chants envoûtants qu’on entend sont ceux des indigènes Tarahumara rencontrés par Artaud, ou ceux d’un rituel Zikri en Ethiopie. Mais ça n’a aucune importance car les artistes fantasment un monde sans frontières. À défaut, ils nous offrent un refuge babélique. Ils nous disent qu’il est certes plus difficile pour les humains de se comprendre depuis que Dieu a confondu les langues, mais que ce n’est pas impossible. Et quel meilleur lieu que le Centre Pompidou où des dizaines et des dizaines de nationalités se croisent tous les jours. 

Alors que l’Europe est tentée de se refermer sur elle-même, “Evidence” nous raconte l’histoire de trois français qui se sont trouvés et accomplis en partant. Casque sur les oreilles, l’expérience est introspective bien sûr, mais nous vibrons aux mêmes sons, aux mêmes mélodies que nos voisins de quelques instants, sans parler la même langue. “Avoir cette conscience capable de tendre vers quelque chose d’extérieur, de se transporter ailleurs, c’est je crois l’une des plus belles choses qui soit dans le fait d’être en vie - c’est ce avec quoi nous entrons en communication. De l’énergie à l’état pur.”, disait Patti Smith à Stephan Crasneanscki lors d’une discussion consignée en 2018. Comme Baudelaire, ils nous offrent une “Invitation au voyage” au cœur de Paris. 

Exposition inclue dans le billet Collection permanente mais la réservation du casque est obligatoire. Jusqu’au 6 mars 2023. Musée, niveau 4, Galerie 0, Espace prospectif.

Performance “En évidence : Antonin Artaud” par Patti Smith & Stephan Crasneanscki le 04 mars 2023 dans la Grande salle, niveau –1.

Signature du catalogue de l'exposition par Patti Smith et Stephan Crasneanscki, le 5 mars à 18h à la librairie du Centre Pompidou.