Giuseppe Penone

Dans les forêts de graphite

Avant même d’entrer dans l’exposition, on se retrouve plongé dans l’univers philosophique et organique de Giuseppe Penone. Par l’ouverture, on aperçoit deux silhouettes d’arbres côte à côte. L’une semble jaillir de son socle de bois brut et s’étirer vers le haut. L’autre s’y enfonce comme s’il poussait à l’envers - défiant le temps. Mais si Giuseppe Penone est plus connu pour ses sculptures, l’exposition se concentre sur ses dessins, longtemps oubliés.

Suite à plusieurs donations, le centre Pompidou en possède 328 réalisés de 1967 à 2019. Une grande partie d’entre eux sont exposés jusqu'au 6 mars. Leur simplicité dialogue avec le dépouillement de quelques-unes des sculptures de Penone. Souvent réalisés en série, comme des esquisses et des réflexions en amont d’une sculpture, les dessins de Penone cristallisent tout le questionnement de l'œuvre de Penone. 

Né en 1947 dans le Piémont italien, ce fils et petit-fils d’agriculteurs commence par étudier la comptabilité mais il est appelé par un chemin moins terre à terre… Quoi que. Figure de proue de l’ “Arte povera”, démarche artistique minimaliste ainsi nommée par l’historien de l’art italien Germano Celant, Penone appauvrit l’art à la recherche de son essence, rejetant les produits de la société et travaillant autant que possible avec de la matière naturelle. En 1968, il réalise sa première œuvre “Alpi Marittime” à Garessio, la forêt de son enfance ; une série d’actions et de sculptures autour des arbres. 

En quelques coups de crayon sur une feuille, avec un peu d’encre ou quelques pigments, parfois même avec la terre ou le vert de la chlorophylle, Penone s’attaque à la représentation de l’invisible, du mouvement, du souffle. Avec un plaisir presque enfantin, il explore la matière et ses propriétés. Il frotte par exemple son crayon sur des cheveux pour qu'ils apparaissent d’eux-mêmes sur la feuille. Ou bien, il s’amuse de la mine graphite grise qui devient claire et brillante lorsqu’elle est utilisée sur un fond d’ardoise noire - une réflexion qui n’est pas sans rappeler le travail de Pierre Soulages

J’ai appris pendant toutes ces années de travail à suivre la matière. Mon travail, c’est un travail de révélation ou d’indication des formes de la manière, de ne pas donner une forme à la matière établie à priori mais de travailler avec la matière en essayant de retrouver sa forme et quand c’est possible, si j’y arrive, son esprit”, déclarait Penone lors de la FIAC 2019

Ça, c’est quelque chose qui appartient à la culture, à notre culture depuis toujours. Peut être on a oublié dans les derniers siècles mais c'était quelque chose de très présent il y a 2000 ans, 3000 ans quand la réalité qui entourait l’homme était sacrée et l’homme avait un respect des éléments qui l’entouraient. Il avait un rapport paritaire. Ce rapport paritaire que j'essaye d’avoir avec la matière, c’est un rapport qui tient compte de l’intelligence de la matière.

Les dessins de Penone contiennent un monde ; les arbres, la terre, l’eau et même ce qui ressemble à des êtres marins, dont on ne sait parfois pas s’ils sont un animal, un végétal, de la matière organique ou tout à la fois. L’homme n’est jamais loin. Tout simplement car il n’est qu’une autre composante de la nature, nous rappelle Penone. L’artiste retisse avec poésie et tendresse ce lien abîmé entre l’homme et le monde. Les empreintes digitales deviennent les anneaux de croissance des arbres et les mains trempées dans l’encre, des crustacés. Cette sensorialité se mue parfois en sensualité délicate, lorsqu’on voit apparaître en aquarelle des vulves ou le corps nu de l’épouse de Penone, enceinte de leur deuxième enfant. 

Les dessins nous rappellent tantôt l’onirisme surréaliste de Man Ray lorsqu'une main ouverte se transforme en arbre, tantôt Rothko lorsque les aplats de peinture sombre semblent prêts à nous engloutir. On en ressort cotonneux, presque ensommeillé, comme d’une balade en forêt. Avec l’envie de prolonger cet état contemplatif, se disant que peut-être, si on garde le silence encore un peu et qu’on se concentre assez, on pourra entendre le vent dans les branches des arbres en plein Paris. 

Giuseppe Penone Dessins, 19 oct. 2022 - 6 mars 2023 au Centre Pompidou, Musée, niveau 4