Alice Neel, “Les gens avant tout”

 

Il arrive de temps en temps, dans l’immensité du paysage culturel, qu’il y ait un lieu, une exposition, un artiste qui nous marque à jamais. Toute sa vie on repense à cet instant fugace et déterminant, à cette rencontre furtive qui nous bouleverse pour toujours et qui donne à l’Art tout son sens. Cette émotion on peut la ressentir face aux chefs d'œuvres de Jean-Michel Basquiat au Musée d’Art Moderne en 2010 ou en découvrant les photographies de Mapplethorpe au Grand Palais en 2014. Je pense également aux Matisse de la collection Pouchkine, aux Nymphéas du Musée de l’Orangerie, aux couleurs de Niki de Saint Phalle qui m'émerveillèrent et aux Quattro Stagioni de Cy Twombly qui me firent verser une larme.

 

 

C’est le souvenir de cette émotion qui sans cesse me fait retourner au musée Guggenheim de Bilbao pour aller admirer les ellipses d’acier de Richard Serra. Dans l’immensité de cette salle voûtée reposent les silhouettes simples, doubles ou complexes de plusieurs spirales monumentales. “La Matière du Temps” offre une vertigineuse et inoubliable sensation d’espace en mouvement. Les sculptures semblent vivantes, vibrantes, infinies.

 

 

Mais ces joyeuses retrouvailles avec Serra furent rapidement éclipsées par une rencontre imprévue avec une artiste dont j’avais vaguement entendu parlé : Alice Neel. Le nom de cette peintre américaine, née en 1900, a peu voyagé jusqu’à l’Europe. Pourtant, Alice Neel est l’une des artistes les plus radicales du XXe siècle. Icône féministe ignorée de son vivant, fervente avocate des laissés-pour-compte, militante engagée en faveur des minorités, son oeuvre exprime l’esprit d’une époque, l’intrahistoire d’un New York vu au travers du prisme de ceux et celles qui subissaient les injustices dues au sexisme, au racisme et au capitalisme, mais aussi des activistes qui les ont combattus.

 

 

 

Toute sa vie, la peintre figurative s’est donc attachée à figer sur toile les regards et les récits des opprimé.e.s de la vie. Elle disait qu’elle était une "collectionneuse d’âmes" et qu’elle peignait "les névrotiques, les fous, les malheureux"... On ne sort pas indemne de cette exposition, les regards sont forts, les couleurs puissantes, les techniques tellement contemporaines. Alors que la figuration fait son grand retour dans le monde de l’art, on applaudit cette capacité phénoménale qu’a l’artiste à donner vie à son sujet.

 

 

Je reprends les mot de la commissaire d’exposition qui résume si bien mon émotion face à ce travail bouleversant : “Elle appréhende l’âme d’êtres animés et inanimés, mais surtout la nôtre lorsque nous sommes confrontés à son oeuvre et à sa vie de lutte constante, avec sa remise en cause franche et sans détour, avec perspicacité et naturel, de toutes les conventions.”

 

 

 

Bonne nouvelle, cette exposition voyagera au Centre Pompidou à partir du 5 octobre 2022.