Partie 2 : Paul Gauguin et ses envies d'ailleurs...

Nous l’avons compris, Gauguin est un « écorché vif ». Limité dans sa liberté artistique par ses difficulté financières, il persévère dans sa passion croissante pour l’abstraction. 

Nous l’avons croisé en Bretagne (1886-1890) comme témoignent les sublimes tableaux très célèbres : « Les Meules », « Le Christ jaune », « Petites bretonnes devant la mer », « La plage du Pouldu » et en Martinique (1887) : « Végétation tropicale « La mare », « Bord de mer ».  

Il partage avec Pissarro une vénération pour les peintures égyptiennes, perses, chinoises et japonaises...On en ressent l’influence dans toutes ses oeuvres. 

On se souviendra que, malgré la naissance de son cinquième enfant prévue pour la fin de l’année 1883, Gauguin quitte son travail et va s’installer avec toute sa famille à Rouen. Il met en dépôt chez Durand-Ruel sept toiles : une seule sera vendue. Angoissée par leur situation de plus en plus précaire, sa femme insiste pour retourner à Copenhague avec ses enfants et Gauguin déclare : « Je hais le Danemark ».

Son plus grand espoir est d’être remarqué à la prochaine exposition impressionniste prévue en mai 1886. Gauguin y passera totalement inaperçu. Opposé aux théories des néo-impressionnistes, il jalouse leur succès. Il sympathise avec Odilon Redon qui est le seul à ses yeux à résister au grand mouvement naturaliste, en opposant le rêve à la réalité, l’idéal à la vérité.

Le 15 mars 1891 Gauguin écrit au ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts pour demander une mission gratuite pour Tahiti. Son tableau « Le Christ Rouge » vient d’être acheté 500 francs par Mirabeau. Cette année sera celle de ses derniers moments à Copenhague avec sa femme et ses enfants.

Clemenceau appuiera sa demande auprès du ministre et le 26 mars sa mission est acceptée : « Monsieur Gauguin artiste peintre, est chargé d’une mission à Tahiti, à l’effet d’étudier au point de vue de l’art et des tableaux à en tirer, les coutumes et les paysages de ce pays. Cette mission est gratuite ». Le 1er avril, Gauguin s’embarque à Marseille en 2e classe à bord de l’Océanien.

Partir peindre à Tahiti comme le fait Gauguin n’a rien de si extraordinaire. Au dix-neuvième siècle, les Orientalistes (Delacroix par exemple) vont chercher loin de l’Occident, du Maroc à l’Equateur, leur inspiration dans de nouvelles sociétés et dans de nouveaux paysages. Son choix de Tahiti est influencé par le roman à la mode publié en 1880 « Le Mariage de Loti ».


Gauguin fera deux séjours à Tahiti...le premier séjour jusqu’en juillet 1893 et le deuxième de 1895 à 1903.

Tahiti, 1891 : disons le tout de suite, dès son débarquement Gauguin attire les regards des indigènes, provoque leur étonnement...surtout ceux des femmes...Ce qui retient l’attention, ce sont ses longs cheveux poivre et sel tombant en nappes sur ses épaules au-dessous d’un vaste chapeau de feutre brun à large bord à la cowboy. Les habitants le surnommeront "tatavahine" (homme-femme). Il loue une maison à Mataia, un petit village à 45 Kms au sud de Papeete. Il y fait la  connaissance de Teha’amana qui devient sa vahiné et son modèle...

Arrêtons nous sur une toile très fameuse de sa vahiné Teha’amana. Elle y est représentée vêtue de sa plus belle robe européenne en tissu chic à grosses rayures, ses cheveux sont parés de fleurs de tiare. Son sourire à peine esquissé, est semblable à celui de la Joconde : il  confère à la jeune femme un aura de mystère...elle tient comme un spectre royal - un éventail en paille tressée - interprété comme un symbole de beauté. Gauguin a ainsi voulu signifier que l’Orient et L’Occident, le passé et le présent se rejoignent en elle. Les deux mangues mûres posées à côté d’elle symbolisent la luxuriance de Tahiti et la fécondité du ventre maternel (elle est alors enceinte). L’idole placée derrière elle est inspirée d’une sculpture hindoue qui dispense la vie, elle apparaît pour la première fois dans l’art de Gauguin. L’écriture indéchiffrable, en fond, transcrit deux lignes de grands glyphes décoratifs comme on peut en voir sur les tablettes en bois, découvertes sur l’île de Pâques. 

Vers Noël, Gauguin a déjà peint vingt scènes tahitiennes. Il envoie à Paris le premier tableau tahitien « Vahiné no te tiare ». Il espère bien le vendre à cause de « sa nouveauté ». Mette, sa femme, se rend à Paris pour rassembler des œuvres de son mari pour une exposition à Copenhague. En onze mois de travail, il terminera quarante quatre toiles qui resteront clés dans l’histoire du peintre. Il n’a plus de toile pour peindre et plus l’argent pour payer son voyage de retour...Il sculpte alors des statuettes et des cylindres en bois et en vendra quelques unes...Enfin, 1 an après son arrivée,  en juin 1892, il parvient à quitter Tahiti avec soixante six tableaux : les couleurs y sont somptueuses.