Yayoi Kusama Infinity

Hier, après avoir croisé les pois de l’affiche du film de Yayoi Kusama dans un journal, je décide de me pencher sur ce phénomène...Le film du dimanche sera donc un documentaire dédié à cette artiste japonaise hors norme, « Kusama infinity ». 

Née en 1929 à Matsumoto (au Nord Ouest de Tokyo), Yayoi Kusama vit dans une famille très aisée, propriétaire d’une grande entreprise de culture de fleurs. Des kilomètres de fleurs et de graines. A perte de vue. Voilà sans doute les racines de son obsession pour l’accumulation et de la notion de "perte d’individualité dans un ensemble". On retrouve d'ailleurs déjà dans ses dessins d’enfants des motifs remplis de points étranges. 

La relation compliquée avec sa mère - qui, très colérique, l'empêcher de dessiner - l’a poussée à travailler vite et dans la frénésie pour cacher ses papiers avant qu'elle les lui arrache.  

Passionnée par la peinture, elle s’obstine et fera une première exposition dans une salle municipale au dessus d’un cinéma qui sera un échec : personne ne comprend son travail dans un Japon conservateur. 

Fascinée par une artiste américaine réputée à l’époque - O’Keefe - avec laquelle elle entretient quelques échanges épistolaires, elle décide de s’envoler pour les Etats-Unis. En 1958, elle pose ses valises à New-York où elle va rester plus de 10 ans. 

C’est le Pacifique vu du ciel en avion qui serait le point de départ de ses filets ensuite devenus des « pois ». 

Elle décrit ses oeuvres comme « un saut dans l’inconnu », toutes ses peintures sont réalisées sans brouillon ou croquis et d’un seul jet, même si parfois elle passe 3 à 4 jours sur la même oeuvre. 

Yayoi traverse des années difficiles, personne ne veut la montrer : c’est une femme, et japonaise en plus. Pourtant, ses tableaux hypnotiques reçoivent à l'époque de bonnes critiques d'artistes fameux comme Donald Judd ou Frank Stella ( le premier à lui acheter une toile 75$).

Complètement hypocondriaque, elle finit par aller voir un psychiatre pour comprendre ses traumatismes et on lui diagnostique une névrose obsessionnelle compulsive : quand quelque chose rentre dans sa tête elle ne peut plus en sortir. Cette obsession se traduit picturalement par l’accumulation sans fin. Ce qu’elle appelle « l’énergie vitale en pois ». 

En parallèle de la réalisation de ses immenses « réseaux » sur toile, elle réalise aussi les premières sculptures « molles » (comme le fauteuil Penis ) et les premières installations très avant-gardistes comme le « Peepshow » et la salle à miroir. 

A plusieurs reprises des artistes lui volait ses idées (comme Warhol qui a tapissé son exposition de photos de vaches après avoir vu l’exposition de Yayoi qui avait tapissé les murs du même visuel). 

En 1966, elle part visiter l’Europe et décide de mettre en place une installation devant la Biennale de Venise sans demander la permission. Son « Narcissus garden » est parsemé de grosses billes en miroirs la reflétant à l’infini dans son kimono. Elle vendait ses billes 3$ aux passants avant de se faire chasser par la sécurité. 

Révolutionnaire et engagée, elle a également organisé plusieurs happenings de célébration de mariages gay ou de manifestation pour le féminisme. A la suite de ces actions très médiatisées et relayées même au Japon, elle est rejetée par sa famille et par sa nation. 

En 1973, en dépression et abandonnée, elle rentre et s’installe à Tokyo. Dans un Japon encore très traditionnel qui a 50 ans de retard sur la scène artistique, elle s’isole et s’arrête de peindre. Après une tentative de suicide, elle est internée dans un hôpital qui s’initie à l’art-thérapie et se remet à peindre. Les oeuvres de cette période sont très sombres même si on retrouve son vocabulaire pictural (les graines, le cycle de la vie, les créatures monstrueuses). 

Elle repart à zéro et un mécène collectionneur japonais se penche sur son travail et veut la faire connaître avec le soutien d’une galeriste américaine. Et, alors qu'elle avait disparu de la circulation et de la critique à New York, une rétrospective est organisée en 1989. Petit à petit, son travail est réhabilité et c’est en 1993 qu’un tournant décisif a lieu dans sa vie : elle représente le Japon à la Biennale de Venise. Son installation globale dans une salle à miroir pleine de pois noir et jaune fait un tabac.  

L’artiste est aujourd’hui toujours très active mais reste médicalement suivie : elle travaille tous les jours dans son atelier qui se trouve à deux blocs de l’hôpital dans lequel elle vit. 

Avec le succès, son oeuvre est devenue depuis une vingtaine d’année plus lumineuse et colorée.