Dia:Beacon

Un musée caché dans l’Hudson Valley

À huit heures et demie, la gare de Grand Central fourmille et les pas des milliers de travailleurs pressés résonnent dans ce hall mythique. À contre-courant, nous remontons le flux de banquiers, de professeurs, d’avocats, qui, chaque matin, quittent leurs confortables banlieues pour rejoindre l’énergie bouillonnante de Manhattan. Nous faisons chemin inverse et embarquons à bord d’un train vétuste en direction de Poughkeepsie, petit village aux douces sonorités indiennes, posé sur les bords de l’Hudson River. Notre train longe le fleuve et ses couleurs de fin d’automne jusqu’à l’arrêt Beacon, où se trouve notre destination : la fondation d’art éponyme Dia:Beacon.

 

Installée dans une ancienne usine, la fondation héberge parmi les plus belles pièces d’art minimal américain, des années 60 à aujourd’hui. Donald Judd, Walter De Maria, Fred Sandback, Robert Whitman... Tous les grands noms sont réunis dans ce lieu épuré, sobre, baigné de lumière et de calme.

 

On se perd facilement dans cet espace industriel immense. Seul, on fait face aux monumentales sculptures en métal de Richard Serra, ces matrices aux formes elliptiques et élémentaires, à la fois protectrices et menaçantes, qui interrogent notre rapport à l’espace, au mouvement, à la gravité. À l’étage, une araignée de Louise Bourgeois. Au sous-sol, dans une obscure salle de 700 mètres carrés, une enfilade infinie de néons créée par Dan Flavin. Sur le sol, quelques œuvres de Robert Smithson, composées de terre, de sable, de verre, et de fragments de miroir. Des installations brutes, percutantes et esthétiques. La simplicité grossière de la terre tranche radicalement avec toute la symbolique et la pureté du miroir qui est posé dessus. Il est tellement naturel de chercher notre propre réflexion dans un miroir mais celui-ci refuse de nous satisfaire : peu importe où se place le spectateur, il ne pourra jamais apercevoir son propre reflet. Cet échec crée une distance entre l'œuvre et son observateur. Au lieu de délivrer instantanément son message, Robert Smithson nous pousse à creuser en profondeur afin de comprendre tout le sens de son travail. C’est d’ailleurs avec cette démarche que s’appréhende la découverte de Dia:Beacon. Il faut dépasser nos réactions primaires, ne pas être “choqué” par la simplicité, ne plus se dire “j’aurais pu le faire” face à une toile blanche d'Agnès Martin ou un tube lumineux posé dans un coin par Dan Flavin. Plus que l'œuvre en elle-même c’est souvent la démarche, l’idée, l’intention qu’il faut observer dans le minimalisme. De la même manière, cette fondation respecte les artistes, leurs démarches, leurs pratiques et étend enfin les frontières du musée traditionnel.

La journée passe rapidement dans ce berceau de la renaissance contemporaine américaine, bientôt il faudra quitter ce calme cocon minimal pour retrouver la trépidante Manhattan. Un spectacle différent, mais tout aussi fascinant.