Avec Bacon

Je n’ai jamais vraiment aimé Bacon. C’est de la grande peinture bien sûr mais je ne la comprends pas...C’est encore mon grand défaut : j’ai du mal à dissocier une œuvre et mon envie de vivre avec elle.


Ces cris de souffrance, ces corps mutilés repliés sur eux-même, tordus de douleur...pourquoi ? Pourquoi peindre le désespoir ?

Alors, quand j’ai croisé la route de ce petit ouvrage de Franck Maubert, je me suis dit qu’il était temps d’essayer de comprendre.

L’ouvrage raconte les entrevues et rencontres entre le journaliste et le peintre, à Londres, Paris ou au téléphone. Il offre un regard sur le peintre et décrit parfaitement les émotions générées par sa peinture et les raisons de son succès. 

Franck Maubert aura à plusieurs reprises essayé de parler de sa peinture avec l’artiste mais en vain : Francis Bacon « ne veut surtout pas d’explications ni d’interprétations. » Une fois peint, « ça ne le concerne plus ». Et de toute façon, « si vous on peut tout expliquer à quoi bon peindre »?

Francis Bacon est né en Irlande en 1909. Son enfance est compliquée, encadrée par un père militaire rigide et austère qui le surnommait « la mauviette » à cause de son asthme. Sans oublier le jour où il surprit Francis essayer les sous vêtements de sa mère. A 17 ans, il part s’installer en Angleterre et voyage en Europe où il découvre que Le Massacre des innocents de Poussin et la peinture de Picasso. En parallèle de son travail pour une marque de décoration anglaise pour laquelle il dessine des meubles (on retrouvera pas mal de mobiliers dans ses tableaux d’ailleurs), il peint des premières huiles en 1930. Très vite cet autodidacte trouve son langage pictural : sa première crucifixion date de 1933.

A la question d’où vient la violence dans ses tableaux il répond de « tout et surtout de ses lectures ».

L’artiste est passionné par les textes et la poésie en particulier d’où il extrait les passages les plus crus, convaincu que « la violence est dans la nature de l’homme » et que « rien ne changera »... 

A celui qui regarde ses œuvres de faire son chemin donc.

Il dessinera toute sa vie l’ambiguïté des êtres humains dans toutes leurs contradictions entre  « harmonie et fureur » et « beauté et horreur ». 

Le peintre lui-même semble être le reflet de ces contradictions : 

L’homme est toujours très apprêté là où reigne le chaos dans son mythique atelier. 

Ses compositions picturales très théâtrales assemblent un fond colorén vif et gai (il aime beaucoup le orange, couleur qui « n’a pas de rapport avec la réalité ») et une figure hurlante et disloquée en premier plan. 

Ses peintures semblent techniques et précises et sont réalisées « au hasard » avec des parfois de la poussière, une vieille chaussette, etc.) et ses ongles. En effet ses oeuvres ne font appel à aucun croquis ou préparation. « Quand l’image de forme, j’aime l’accident. J’ai appris à organiser le hasard ».

Ses peintures sont gonflées de ses démons, ses vices (alcool, jeu, etc.) et des drames de sa vie. Il dira que « l’art est un cri pour combattre l’étouffement » et ce cri devient son motif.
Il souhaiterait atteindre « le système nerveux et donner une sensation d’effroi ou d’horreur » pour rappeler la vie.

Si ses tableaux sont le reflet de « notre propre souffrance, de notre solitude et de notre peur de la mort », je réalise que j’ai de la chance d’avoir été autant préservée tant ils me mettent mal à l’aise. Je suppose que ces tableaux parlent aux regardeurs qui s’y projettent ou y reconnaissent leur propre démon.  

Un chapitre est consacré à la comparaison du travail de Giacometti et Bacon et à la relation amicale des deux artistes. Les deux traitent le corps humain. Le premier le dessèche et le second le martyrise. Dans les deux cas, l’objectif est « d’exprimer le dedans de l’être ».

Et si j’aime profondément le travail du premier, c’est qu’il montre moins, il laisse suggérer, là où Bacon martèle et nous assène de coups de marteaux.