Partie 3 : Modigliani, le portraitiste

Modigliani est avant tout un portraitiste et c’est grâce aux portraits qu’il est entré dans l’histoire de l’art.

Il a fait le portrait de toutes les personnes importantes qu’il a rencontrées au cours de sa vie brève et mouvementée, en priorité ses amies, des peintres, des sculpteurs, des poètes et des écrivains, des collectionneurs et des marchands d’art...Il les représente, en peinture ou en dessins, réalisés à la va-vite sur une table de bistrot. Tous ses portraits font de lui une sorte de chroniqueur de cette vie de bohème de Montparnasse, même si son art ne reflète en rien l’instabilité de son existence.

C'est une pulsion primaire et irrésistible qui pousse Modigliani à peindre et dessiner les êtres qui l’entourent. Il a la volonté de donner à chacun de ses portraits la qualité d’une œuvre stable, dense et accomplie. Citons par exemple l’un de ses plus beaux portraits, celui de son ami le poète Max Jacob. Il le peint à deux reprises : une fois avec un haut de forme et une autre fois avec le crâne chauve (1916). Dans le premier (celle du haut de forme), le nez est taillé comme à la serpe dans une planche de bois. On classe cette toile  comme l’une de ses rares œuvres qui trahissent une influence directe de l’art africain, influence dont le peintre est parfaitement conscient. Il est permis de penser que dans ce portrait, Modigliani s’est inspiré des portraits de Picasso. Dans sa façon de traiter les yeux il y a « une forme de cécité » provoquée par l’absence de pupille et une asymétrie ! L’un des yeux semble même inexistant, alors que l’autre est hachuré de traits verts qui se croisent. 

Sur d’autres tableaux, les yeux sont même parfois réduits à des aplats sombres. C’est que l’artiste veut éviter le regard extérieur du modèle et ainsi il ne dévoile pas la nature profonde de l’être humain. Ça ne l’intéresse pas. Lorsqu’on regarde ses portraits, le fait de ne pas rencontrer de regard, laisse à l’image toute son autonomie. Il y a une forme de dépersonnalisation du modèle...On reconnaît dans ces yeux « aveugles » qui ne regardent rien, l’influence de Cézanne. 

« Ressemblants », les portraits de Modigliani le sont toujours. Ce sont des portraits à part entière mais l’aspect individuel en est gommé, le traitement des formes aboutit à représenter un masque. Rien ne se cache derrière ce « masque »...au contraire, le modèle lègue ainsi une part de son individualité, de son émotivité. Le peintre protège la forme de tout ce qui peut être affectif. Il considère le modèle avec une extrême froideur. Seule les couleurs parviennent à réchauffer la toile. Mais il n’y a jamais « surchauffe » comme on peut le voir par exemple chez Soutine.

On peut considérer les portraits de Modigliani, voire son art dans son ensemble, comme éminemment italiens : la mesure, l’ordre, l’équilibre, l’harmonie...comme une réminiscence concrète de l’art italien du passé, celui de la Renaissance tardive et du maniérisme..Les portraits de Modigliani sont empreints d’une sorte de vibration « Quattrocento ». Soutine aurait d’ailleurs dit de lui : « Modigliani c’est toute l’âme de l’Italie. »

Au contraire de son attachement aux traditions italiennes, les origines juives du peintres n’ont pas eu d’incidence sur son expression artistique ( Modigliani ne voit rien de sacrilège à représenter la figure humaine).

On remarque qu’après l’installation de Modigliani à Paris en 1906 (alors que les fauves connaissent leur apogée), ces derniers  n’exerceront aucune influence sur lui. Ni le cubisme par la suite !

En revanche, Cézanne aura été capital pour lui. 1906 est aussi l’année de la mort de Cézanne à Aix en Provence. Le Salon d’Automne organise l’année suivante un hommage posthume. C’est cette exposition qui marquera beaucoup le jeune artiste (il gardera toujours sur lui une reproduction du Garçon au gilet rouge de Cézanne (1888-1890).

Ce rapport avec Cézanne n’est pas direct et aura tendance à disparaître. Ses portraits vont évoluer d’un formalisme « plus dur » à un naturel plus doux. Le nez va perdre son importance - Beatrice Hastings (1916, Marie (1917-1918) - tous ces changements stylistiques permettent ainsi de dater ses tableaux, puisqu’il ne le fait que très rarement !

La récurrence des déformations, des allongements (ovale des visages, cou cylindriques, épaules tombantes), de la disproportion des membres supérieurs, est une transposition qui comme Picasso, le relie à la conception cézanniene.

Jean Cocteau dira des portraits du peintre:

« La ressemblance n’est qu’un prétexte, à travers laquelle l’artiste affirme sa propre identité...sa dangereuse grâce ».

A bientôt pour rencontrer : Modigliani et Picasso à Montmartre; partie 4.