Les autoportraits de Paul Gauguin

En cette période très particulière…continuons à nous promener dans l’histoire de l’art. 

Il était une fois…Paul Gauguin (1848-1903). Evidemment, on le connaît tous très bien, il nous est presque familier ! 

On abordera donc le personnage d’une façon plus détournée, plus intime…notamment en observant ses autoportraits. 

« Remarquez comment parlent de Gauguin tous ceux qui l’ont approché : les uns avec amour, les autres avec aversion, aucun avec sang-froid »... Paul Gauguin dérange, Paul Gauguin ne laisse personne indifférent.

Les autoportraits de Gauguin provoquent souvent un peu d’agacement tant sa posture suggère sa volonté de « faire l’artiste » mais ils provoquent aussi une certaine sympathie voire admiration tant est fort son entêtement à se représenter au cours des dix années cruciales de sa vie (1884-1885 pour les premiers croquis). 

C’est une quête permanente de quelque chose de plus fort que lui. Il sacrifiera tout pour devenir cet artiste d’exception que nous connaissons tous.

Il s’examine dans son miroir avec un demi-sourire et un brin d’étonnement. On reconnaît presqu’à chaque fois le dessin si caractéristique de son nez et de sa paupière. Le contraste entre son visage photographié et son visage qu’il caricature fait comprendre mieux que de longs discours ce qu’il est en train de vivre à ce moment-là, cette double personnalité entre l’honnête représentant de commerce père de famille et l’artiste qui veut s’affirmer.

Il le vivra comme un déchirement : « ...Quand à moi, il semble par moment que je suis fou, et plus je réfléchis le soir dans mon lit, plus je crois avoir raison....je suis ici plus que jamais tourmenté d’art et mes tourments d’argent aussi bien que mes recherches d’affaires ne peuvent m’en détourner »...Et précisément il peindra son premier autoportrait « devant son chevalet » en 1885 : les maladresses sont évidentes, le tableau donne un sentiment d’étouffement. Son état d’esprit d’alors est celui de l’inquiétude, on voit le visage nettement partagé entre l’ombre et la lumière, à la fois timide et égaré, seul son œil gauche est parfaitement clair est lucide, il semble discerner cet avenir incertain, comme un présage...

A Pont-Aven en 1886, on rencontre un homme grand, les cheveux bruns et le teint basané, les paupières sont lourdes et de beaux traits s’associent à une stature puissante. Gauguin à cette époque est bel homme, il s’habille comme un pécheur breton : un chandail bleu et un béret penché avec désinvolture. Son allure générale, sa démarche et le reste rappelle celle d’un patron de goélette, rien ne semble plus éloigné de la folie ou de la décadence. 

La plupart des gens en ont cependant plutôt peur et les téméraires ne s’avisent d’aucune liberté avec lui. Sportif par goût, il a la réputation d’être une excellente lame, cela ajoute à la prudence avec laquelle on l’approche...

Il attire par cette allure très personnelle, une forme de noblesse hautaine, mélange de simplicité et de trivialité qui se résume par un sentiment de force. Même si la grâce manque, son sourire qui convient mal à ses lèvres minces et droites, semble démentir l’aveu de la gaieté. 

Gauguin dans les années 1888-1889 (ces deux années il produira la plupart de ses autoportraits) se peint. C’est sa façon à lui d’accéder au clan des artistes de l’histoire de la peinture et de rejoindre ainsi les plus grands à ses yeux : Raphaël, Rembrandt, Ingres, Pissarro...c’est en tous cas sa volonté.

Dès 1887, Vincent Van Gogh cherche à se constituer une collection d’autoportraits des artistes de l’époque ; cette démarche montre la confiance étonnantes qu’il avait pour leurs jeunes amis peintres, alors totalement inconnus. Il est convaincu de côtoyer les futures célébrités de demain.

Cette démarche aura un impact capital sur Gauguin à ce moment précis. Il est à Pont-Aven avec Bernard et Laval. « Je ferai le portrait que vous désirez, lui répond-il, mais pas encore. Je ne suis pas en état de le faire, attendu que ce n’est pas une copie d’un visage que vous désirez mais un portrait tel que je le comprends…». Et ce qui fut peint quelques jours plus tard fut son tableau « Les Misérables », un autoportrait dédicacé « à l’ami Vincent ». Ce portrait trahit toute la recherche de ce que Gauguin appelle « Abstraction ». La réalité est plus profonde, plus symbolique, elles dépasse les apparences. Dans cet autoportrait, il veut impressionner Vincent. 

Regardons ce tableau  (Les Misérables - 1888) : on retrouve son jaune de chrome pur,  qui deviendra une de ses couleurs fétiches, son portrait glisse, s’effondre à  gauche, en retrait et son regard est sombre. Il nous donne la vision d’un clochard qui aurait le vin mauvais, il y a une forme de violence et d’aisance hautaine dans l’expression de son visage à demi tourné...et en toile de fond, à peine esquissé le portrait de son ami Bernard. Derrière l’accablement apparent de l’image apparaît de façon surnaturelle une sorte d’allégresse picturale, c’est là tout le génie du peintre.  « Nous avons accompli votre désir, écrit Gauguin, d’une autre façon il est vrai, qu’importe puisque le résultat est le même : nos 2 portraits! »

Dès juin 1888, Vincent fera tout pour faire venir Gauguin et Bernard à Arles.

Du court séjour à Arles de Gauguin naît une tension entre les deux hommes aux personnalités si fortes... «...Gauguin et moi nous causions à nous tendre les nerfs jusqu’à l’extinction de toute chaleur vitale. »

On sent dans plusieurs autoportraits ultérieurs de Gauguin l’ombre indirecte de Vincent : par exemple lorsqu’il peint son autoportrait en « Christ au jardin des oliviers ». 

Vincent reprochera à Gauguin d’être irréaliste dans la peinture des chairs, trop noir, et surtout d’exhiber ses plaies et de faire endurer aux autres ses tourments et sa tristesse. Vincent lui enverra en échange son propre autoportrait où il se représente en moine bouddhique moderne. Sa façon à lui de l’exprimer!

Mais chez Gauguin, le besoin de déplaire et celui de convaincre seront toujours liés. L’hostilité lui semble une garantie de son identité, un diplôme d’originalité. Deux choses seulement peuvent l’abattre : le manque d’argent et l’indifférence.