Une balade à Orsay en bleu & rose

L’exposition au musée d’Orsay pourrait s’appeler « la couleur des sentiments » : elle retrace les périodes bleu puis rose de Picasso.

Arrivé en France à 20 ans, poussé par son grand ami barcelonais Carlos Casagemas, ils passent ensemble une première année heureuse et insouciante dans les tourbillons parisiens de vin, de rire et de fêtes. Picasso peint dans les pas des post-impressionnistes et a rencontré Pedro Manach qui s’entiche de son travail et lui propose 150 francs par mois pour l’exclusivité de ses oeuvres. Carlos lui, tombe amoureux fou de Germaine, modèle et libertine. 

Amoureux à en mourir, il se tire une balle dans la tête et met fin à cette période festive. Picasso perd son meilleur ami ( il le peint sur son lit de mort - l’Enterrement de Casagemas - le visage vert et jaune, à l’ombre d’une bougie ) et sombre dans une mélancolie qui durera près de 3 ans. Il dira : « c’est en pensant que Casagemas était mort que je me suis mis à peindre en bleu ». 

Sa palette devient livide, ses personnages fantomatiques et les thèmes abordés ceux de la misère humaines : prostitution, alcoolisme, pauvreté, etc. c’est le début de la période « bleue ». Les femmes de la prison Saint Lazare, des mendiants, des aveugles, des ouvriers épuisés, etc. La femme à la chemise est à la fois magnifique et angoissante : elle à le visage pâle et sa peau se confond avec sa robe, la pâleur ressort sur un fond badigeonnés de plusieurs bleus. Sa peinture mêle « le délicieux et l’horrible, l’abject et le délicat » ( Apollinaire ). 

Ce malaise et cette instabilité se ressent également dans sa vie : il continue à faire des allers-retours entre Paris et Barcelone. Il vagabonde. Il sortira de cette période tourmentée grâce à une femme, Fernande, dont il tombe amoureux. Ils rient au cirque Medrano, se reposent dans les Pyrénées, se saoulent à Montmartre et la couleur revient chez Picasso : des rouges, des jaunes, même le bleu redevient plus lumineux. Son Arlequin de 1905 en est un bon exemple : le rose prend la place du « blue(s) »….

La famille Stein est fascinée par sa peinture et lui achète toile sur toile. Il devient proche des enfants, Gertrude et son frère Léo, et est invité à diner de temps en temps. Lors d’un de ces diners, Matisse frime en lui montrant son dernier achat : une statuette primitive du Congo. Picasso passera le diner à la regarder et à la toucher. Fasciné, il poursuit ses recherches : visite du musée du Trocadéro et achat compulsif de clichés etnographiques.

Il a 26 ans et il va très bientôt révolutionné la peinture occidentale : c’est le début du cubisme !

Si la première toile cubiste vraiment connue est Les Demoiselles d’Avignon, on en retrouve quelques traces avant : dans ses autoportraits où il se représente en rose et beige, avec une ligne cassante comme une sculpture ou dans le portrait de Gertrude qui aura dû endurer plus de 80 séances de pose au Bateau-Lavoir pour rassembler à un masque africain !

On a souvent vu une ou deux toiles de ces périodes éparses dans des expositions mais jamais autant. C’est assez émouvant. 

Jusqu’au 6 janvier 2019, le musée d’Orsay nous offre à voir 300 oeuvres de ces périodes qui ont participé à la construction du peintre, avant sa révolution cubiste.